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Nos
échanges de ces cinq dernières années nous
ont confrontés à la conscience de ce qui nous arrive,
les conséquences de la contradiction qui fait de la mondialisation
l’obstacle principal à la globalisation financière.
C’était aussi le constat d’une situation qui
concerne l’humanité entière et non seulement
quelques nations riches dans leur conscience d’être
en quelque sorte le fer de lance du sort de l’humanité.
Nous avons alors entrepris de nous questionner sur cette humanité
qui se trouve pour la première fois en tant qu’humanité
à la croisée des chemins, devant décider globalement
de son devenir. Nous avons ainsi entrevu trois grands thèmes
de discussion assez peu conventionnels pour cette entreprise : l’érotisme,
l’esthétique et l’éthique.
Nos
réflexions sur l’érotisme nous ont conduits
à cette difficulté que la créativité,
et en conséquence la souveraineté, que l’humain
a toujours projetées et projette encore, dans une bonne part
des civilisations, en dehors de l’humanité dans des
êtres transcendants, s’expérimentent aujourd’hui
comme une dimension fondamentale de l’humain. L’érotisme
nous est ainsi apparu comme une expression de cette créativité
liant le sujet à l’autre et au collectif dans la production
d’expériences et d’entreprises qui transcendent
les contraintes et les limites de l’environnement physique
ou social. En effet, tout ce qui se trouve dans l’environnement
qui sert d’habitat à l’humanité et qui
ne vient pas de cet environnement, vient de la créativité
souveraine de l’humain, pour le meilleur et pour le pire de
l’humanité et de son habitat. Le contexte de mondialisation
de ce constat d’une créativité souveraine dans
l’humain donne à la solitude de cette souveraineté
une dimension de tragédie qui nous mène à interroger
les sources esthétiques de l’engagement des collectifs
humains dans des entreprises plus grandes que leur survie même.
Tels seront les objets de nos avancées cette année.
Dès
son apparition, il y a quelque cent cinquante mille ans, nous disent
les scientifiques, l’humain, l’homme d’aujourd’hui,
se distingue de ceux qui sont en apparence ses pairs, en se caractérisant
par sa capacité de se représenter les choses autrement
que la perception qu’il peut en avoir. C’est dans cette
faille entre sa perception du monde et la représentation
qu’il s’en fait que va se glisser l’érotisme,
sa puissance que nous disons ici souveraine de créer et d’investir
autre chose qui bouleversera sa vie et son environnement. Cette
année nous allons donc explorer cette faille interne, qui
donne à l’humain sa dimension esthétique, où
ce qu’il se représente et ce qu’il ressent à
partir de cette représentation, sont étrangers tant
à ce qui est là présent effectivement qu’à
ce qu’il peut en dire. Car il échappe le plus souvent
à notre attention que si l’érotisme et l’esthétique
que nous évoquons ici comme ce qui distingue l’humain
apparaissent il y a cent cinquante mille ans, le langage lui qui
définit la conscience et la perception en imposant une nomination
collective des choses, ce langage date seulement de quelque cinquante
mille ans.
L’esthétique donc, cet ensemble de sensations, d’émotions
et de sentiments, que suscite la faille dans l’humain, sa
capacité symbolique de se représenter le monde autrement
qu’il n’est perceptible et d’investir ces représentations
plus que sa vie même, ce sera là l’objet de nos
discussions. Appliqué au contexte de confrontation de la
globalisation financière à la mondialisation, un tel
objet nous éclairera sans doute sur un certain nombre d’événements
typiquement humains. Mais surtout nous comptons à partir
des réflexions que nous permet un tel objet faire place à
des perspectives nouvelles concernant la nature du sujet humain,
la place du désir dans les enjeux auxquels le confronte la
mondialisation. L’articulation de l’esthétique
comme champ où se constituent les objets de l’érotique
nous forcera à ouvrir un espace pour des questions apparemment
sans pertinence certes, mais que la discussion et le débat
ne peuvent plus passer sous silence. En exemple, il faut d’emblée
confronter ce qui est de soi hors langage à l’impérialisme
du discours. Une part essentielle de l’humain reste ainsi
hors de portée des enjeux de vérité, et il
peut être malaisé d’y retrouver des questions
aussi fondamentales que celle de la souveraineté côtoyer
des enjeux liés à la censure de la féminité.
Ces questions qui sont au cœur des violences que notre époque
doit dénoncer quotidiennement ne peuvent plus désormais
échapper à un examen sans concession ni pour la rectitude
ni pour l’interdit de penser.
Cette
dimension fondamentale de l’humain aura subi deux bouleversements
dont aujourd’hui les conséquences ressurgissent en
quelque sorte dans l’impasse où se vérifie la
mondialisation. Dans un premier temps, il y a quelque cinquante
mille ans, il s’agit de la nécessité pour les
hommes de créer le langage. Des collectifs se constituant
autour de l’occupation de territoires de ressources, il a
fallu régler la nomination des choses en même temps
que l’institution de la structure du lien social devenait
nécessaire. Cette double dimension du langage définissait
pour les collectifs humains la perception des choses tout en la
liant à une conscience commune. Du coup une part essentielle
de la représentation, impliquant son investissement érotique
et son univers esthétique, se trouvait censurée de
ce qui se mettait en place comme un ‘vivre ensemble’.
Dans un deuxième temps, quand il y a quinze à vingt
mille ans les civilisations se constituent, ce qui va alors être
promu comme institutions et comme montage du féminin à
travers la reproduction idéologique des valeurs donnera une
toute autre signification au travail de l’érotisme
et à son investissement du champ de l’esthétique.
La reproduction idéologique des civilisations va prendre
le pas sur l’existence de l’humain et la survie même
de l’humanité. C’est ce que l’histoire
et la science nous révèlent de plus en plus pendant
que les effets de la mondialisation nous contraignent à en
prendre encore aujourd’hui une conscience malheureuse. Mais
les enjeux de confrontation des civilisations à travers les
effets de la mondialisation mettent en cause aussi bien la reproduction
idéologique des valeurs de ces civilisations que les montages
institutionnels qui devaient en garantir la pérennité
au risque de la survie d’une partie de l’humanité.
La
prise en compte de ces deux bouleversements dans l’histoire
de l’humanité et des conséquences qu’ils
nous donnent à penser, nous permettra de cerner comment dans
le contexte de mondialisation qui est le nôtre, l’esthétique
nous offre un champ pour un examen radical de ce qui nous arrive et
de notre capacité d’y faire face. La nécessité
d’un dialogue entre les nations et les civilisations si nécessaire
aujourd’hui à la survie de l’humanité rencontre
une impasse où la question de la vérité et de
ses enjeux devient inadéquate sinon obsolète. Malgré
toutes les tentatives pour arraisonner l’esthétique,
l’expérience d’une souveraineté inviolable
dans l’acte de création, le sentiment du beau qui articule
l’être au collectif et l’expérience du sublime
où il se perd dans quelque chose de plus grand que son existence
même, sont restés hors de portée des pouvoirs
du langage, offrant à l’humain un espace de création
et d’espoir pour inventer encore le possible.
Willy
Apollon, septembre 20154
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